Propos recueillis par Anusha Rung
Les usurpatrices, paru chez Librinova en avril 2021, est le cinquième roman de Christine Adamo, enseignante-chercheuse spécialisée dans l'information scientifique. L'auteure nous propose un tour guidé des coulisses de la création de son thriller érudit.
D’où vous est venue l’inspiration pour votre roman Les usurpatrices ?
Je terminais le roman L’équation du chat dont la réalisation avait été particulièrement éprouvante, car j’avais voulu y rendre accessible à tout un chacun l’histoire de la physique quantique. C’était un soir d’été, l’océan était calme et, en regardant l’horizon, je me suis promis de me changer ensuite les idées avec une « simple » histoire d’amour, dans laquelle les protagonistes seraient séparés l’un de l’autre par les océans… et par les passés de leurs familles respectives. Quelques mois plus tard, lors d’un week-end de « pause-sans-enfants », je visitai l’église Sainte-Catherine de Honfleur. Une organiste y jouait l’Ave Maria dit « de Caccini ». Le soir même, je lus un article relatant la découverte d’un navire ancien lors des travaux sur le site de Ground Zero, à New York…
Votre roman nous fait voyager, entre autres, à New York et dans le désert australien en 2001, en Italie et en ex-Yougoslavie dans les années 60... Comment êtes-vous parvenue à décrire des lieux et des époques si différents de manière si réaliste ?
J’ai fait une partie de mes études en Australie. En ce qui concerne ce pays, j’écris sur des situations, des régions et, parfois, des personnes que j’ai connues. Par ailleurs, une partie de ma famille vit encore en Italie du nord, je m’y suis donc déjà rendue, ainsi qu’à Florence, Ljubljana, etc. J’ai aussi rencontré des musicologues qui ont connu Dragotin Cvetko (à l’origine du colloque organisé en 1967 dans la Yougoslavie d’alors). Pour ce qui est de New York, j’ai vu les travaux de Ground Zero à différents stades.
Surtout, comme de nombreuses personnes, j’ai un souvenir très précis de ce que je faisais le 11 septembre 2001. À l’époque, je venais d’avoir mon premier enfant, et j’ai été prise d’une peur panique en imaginant immédiatement ce qui se passait sur place, l’angoisse de ceux qui étaient dans les tours et de leurs proches...
Cela dit, lorsque, beaucoup plus récemment, j’ai commencé à travailler sur Les Usurpatrices, j’ai fait ce que je fais tout le temps : lire quantité d’articles, de comptes rendus, de témoignages, compulser des plans, des archives, et tout ce dont j’ai besoin pour coller au plus près d’une réalité.
Votre roman aborde un sujet peu banal : celui d’une compositrice baroque, Francesca Caccini, autrement dit, une femme dans un univers d’hommes. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Après avoir entendu l’Ave Maria dit « de Caccini » et l’histoire supposée de ses origines, je me suis penchée sur la biographie de Giulio Caccini, compositeur italien du début du baroque. Quelle ne fut pas ma
surprise d’apprendre l’existence de Francesca, sa fille, compositrice géniale et protégée des Médicis, première femme à avoir composé un opéra … à une époque où « une femme devait être avant tout honnête et chaste, avait le droit de lire, mais pas d’écrire, celui d’acquérir des connaissances, mais pas d’en produire ». Tout cela avant que, au fil des siècles, Francesca ne soit effacée de la mémoire collective. Là, je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec ce que j’avais trop entendu depuis mon enfance. « S’il y a tant d’hommes célèbres et talentueux et si peu de femmes, c’est une question de cerveau ». « L’essentiel pour une femme, c’est sa famille ». « Le rôle de la femme, c’est de … », etc. Avec, aussi, ce qui se passe toujours dans certains endroits, comme si, en dépit du temps passé, des obstacles renversés, n’avait souvent encore droit de cité qu’un seul genre, et globalement, une seule couleur, une seule manière d’être, de penser.
Votre métier de chercheuse spécialisée dans la gestion de l’information environnementale a-t-il une influence sur votre regard d’écrivain ?
Oui ! D’une part dans la recherche et la sélection des informations, dans la vérification des données. D’autre part dans la structuration de l’intrigue. Étant donné ce que j’ai écrit jusqu’alors, étant donné la densité que j’essaie de donner à mes personnages, à leurs contextes, aux événements, aux idées véhiculées, je ne peux me lancer à l’eau sans une architecture. Bien sûr, celle-ci doit s’adapter au chemin qu’empruntent (parfois presque à mon insu) mes personnages. Mais pour que les lecteurs soient poussés à tourner les pages, au fil d’une mécanique efficace et d’une lecture fluide, je tente de ne pas leur imposer le capharnaüm qui règne parfois dans ma tête !
Quels auteurs ou auteures vous ont marquée, et pourquoi ?
En plus des essayistes, les romanciers et romancières ont été nombreux ! J’ai découvert très tôt I. Asimov ainsi que R. Matheson, P.K. Dick et J.R.R. Tolkien. Leur capacité à créer des univers m’a toujours fascinée. En parallèle, j’ai adoré V. Hugo, G. Sand, G. de Maupassant, E. Zola, pour leur peinture du réel, F.-R. de Chateaubriand, J. Austen, les sœurs Brontë pour leur romantisme, H. James, V. Wolf, E.M. Forster, S.F. Fitzgerald, W. Faulkner, pour la manière dont ils ont capté les failles humaines, E.A. Poe, J. Tey, A. Christie, T. Hillerman, A. Upfield pour leur sens inné du suspense… et tant d’autres. Lorsque je tombais dans la marmite d’un(e) auteur(e), je ne la quittais qu’après avoir épuisé tout ce qu’elle/il avait écrit.
En tant qu’auteure, quelle est pour vous l’ambiance de travail idéale, qui stimule votre
créativité ?
Avant de m’installer devant un café et un jus d’orange avec mon ordinateur (ou de prendre le train sur une longue distance)… c’est la déambulation (dans la nature en général) qui est la plus propice au fonctionnement de mon cerveau : elle fait surgir l’idée ou ajuste la mécanique sur laquelle je me cassais la tête. Cela a un petit côté miraculeux… qu’expliqueraient sans doute les neurosciences. Je préfère néanmoins ne rien savoir du processus réel. J’aurais trop peur de me mettre à y réfléchir, ce qui, inévitablement, en fusillerait l’efficacité.
Avez-vous des projets d’écriture en cours ?
Oui. Je vais publier sous peu un petit roman atypique au regard de ce que j’ai fait auparavant, mais que les lecteurs initiaux ont adoré. Puis je me remettrai sur la trame d’une histoire qui me trotte en tête depuis quelque temps, du côté des premiers très grands animaux qui ont peuplé la planète, du regard que l’on a porté sur leurs restes au fil des siècles, des réactions que cela a pu engendrer. Tout cela à travers les yeux d’une enfant qui a des capacités que très peu d’entre nous possèdent.
Votre citation préférée ?
Je ne suis pas certaine que ce soit ma préférée. Mais je l’aime vraiment beaucoup… : « Toute vie n’est qu’acide nucléique. Le reste, ce sont des commentaires. » (Isaac Asimov). Cela remet les choses en place !
Découvrez l'autrice et son œuvre ici.
À lire aussi : notre avis de lecture sur Les Usurpatrices.
Résumé :
11 septembre 2001, World Trade Center.
8 h 29, tour nord : Tom, devenu trader pour satisfaire à ses obligations de futur père, apprend que l’enfant à venir n’est pas de lui. 8 h 46, tour sud : un Boeing s’écrase sous l’étage où se trouve Alcina... son épouse. Banale rencontre de la petite et de la grande histoire ? Ou épisode ignoré d’une vendetta ancestrale ? Des États-Unis en pleine crise à l’Australie des surfeurs, de la Toscane des Médicis à la Yougoslavie de Tito, un nom revient : celui de Francesca Caccini, musicienne adulée en son temps, oubliée depuis. Sauf par celle qui en a fait une obsession. Meurtrière.
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