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Interview avec Tiphaine Baldinger, poète : Explorer l'infiniment petit et l'infiniment grand

Propos recueillis par Anusha Rung


À travers son poème Res/senti, l'auteure alsacienne Tiphaine Baldinger nous dépeint avec une exquise finesse les émotions que réveillent en elle des souvenirs d'enfance bucoliques. Res/senti est publié dans la revue littéraire Soleil hirsute - numéro 2 - automne 2021 (à lire et télécharger gratuitement dans l’onglet Magazine).


Qu'est-ce qui vous a amenée à écrire Res/senti ? Quelles impressions avez-vous cherché à transmettre à travers ce poème ?

Extrait du poème « Res/senti »

Mon enfance a été douce et choyée, nourrie par l'amour inconditionnel de mes parents. Mon père a souvent répété que nous étions des « enfants de l'amour ». Même si ce n'était pas simple pour eux avec quatre enfants, ils sont parvenus à éveiller notre curiosité intellectuelle et notre sensibilité. Nous allions au cinéma, au musée, dans la forêt, faisions des voyages lointains pleins d'aventures, ma mère me donnait des cours de dessin, elle touchait à presque tous les arts et c'était grisant. La musique était également omniprésente. J'ai souhaité décrire ce refuge, retranscrire cette bulle de richesse sensorielle réconfortante que m'évoque l'enfance, et aussi montrer en tant que maman à quel point un enfant est perméable à son environnement, et donc à quel point il est primordial de l'enrichir et le préserver. Bien que la maison de mon enfance ait été démolie et noyée sous la chape de béton d'un parking, que ma mémoire ait été lessivée par les traitements, ce texte montre que l'essentiel est gravé au plus profond de moi, grâce à mes parents.


Tout en étant d'une finesse exquise, la description de chaque sensation dans Res/senti n'en est pas moins extrêmement rigoureuse. Est-ce que ce mélange de subtilité et de précision est caractéristique de votre écriture ?


En effet, je cherche les mots justes pour avoir l'émotion juste. Il s'agit de faire entrer en résonance l'écriture et les sentiments qu'elle suscite. Cela peut me prendre plusieurs semaines pour trouver la formule adéquate.


La nature est pour vous une source d'inspiration importante. Pourquoi ?

Pour le sentiment d'être reconnectée à l'essentiel mais aussi pour la fascination que me procure la découverte de l'infiniment petit et l'infiniment grand. Nous humains, nous situons à mi-chemin entre l'abstraction du cosmos et l'extrême complexité des insectes et des fleurs : deux dimensions qui me permettent de m'évader de nos considérations terrestres.

Par exemple, j'ai découvert que les yeux des abeilles sont recouverts de poils, que les roses trémières sont couvertes d'acariens qui vivent par paires, se chevauchant l'un l'autre, que les libellules sont des vitraux vivants. La beauté de cette vie-là n'a pas de frontière et elle mérite que nous soyons parfois bousculés dans notre vie d'humain pour en prendre conscience et pouvoir l'admirer.


Vous êtes également photographe. Pouvez-vous nous parler de cet art que vous pratiquez ? Est-ce que cela influence votre poésie ?

« Le yin et le yang », oeuvre photographique de Tiphaine Baldinger

J'ai découvert la photographie grâce à mon compagnon Tharcisse, qui vibre au diapason de la Nature. Elle est devenue une passion à la fois dévorante, méditative et contemplative qui exige patience, rigueur et sens de l'observation. On apprend à rester immobile, en apnée, à anticiper les mouvements, on fusionne avec le monde. Certains clichés sont d'une beauté si féerique et jubilatoire, je ne pensais pas la vie capable de nous offrir cette ivresse. Comme je l'explique dans le synopsis de mon second livre, Chambre noire, la photographie permet tout comme l'écriture de retranscrire la lumière, passer du négatif aux couleurs, figer un présent fugace, laisser une trace.


À part la nature, quels thèmes importants à vos yeux sont abordés dans vos œuvres ?


L'amour sous toutes ses déclinaisons, car c'est lui qui guide le moindre de mes gestes et qui m'a inspiré mon poème favori, Bunker. Je suis aussi très sensible à la condition féminine (poèmes Péril en la douceur, Le sang bleu des limules, Gladiatrices), à la résilience après la maladie, au deuil et au renoncement, à la douleur d'être une maman séparée. J'évoque aussi des thèmes plus légers inspirés de mes voyages et découvertes, l'insouciance enfantine, la bienveillance qui nous entoure (Lucioles).


Pouvez-vous nous parler d'un événement marquant dans votre cheminement d'auteure ?

Photo fournie par l'auteure

L'annonce de mon cancer du sein en janvier 2019 a été l'élément déclencheur, suite à quoi j'ai autopublié mon premier livre L'Araignée dans mon cœur: douze millimètres sur Amazon. Être brutalement mise face à ma condition mortelle et savoir que je risquais d'abandonner les gens que j'aime, m'a profondément éveillée. Dans la salle d'attente avant la biopsie, j'ai pris mon téléphone et j'ai commencé à écrire Qui se cache derrière la porte ?, parce que je me sentais terriblement seule, et aussi en guise de témoignage pour mes enfants, puis j'ai compris au fil du temps que je pouvais aider les autres patientes dans la même situation. J'ai d'ailleurs écrit récemment un Petit lexique du cancer du sein d'Halloween (qui sera bientôt publié) pour diffuser des informations utiles sur un ton complètement décalé et humoristique. Les retours positifs que je reçois d'associations de patientes ou de professionnels m'encouragent à continuer à créer.


Quels auteurs ou auteures vous ont marqué et pourquoi ?


Agnès Ledig, pour son histoire personnelle (deuil d'un enfant suivi de la découverte de l'écriture), ses récits poignants et ses personnages attachants. Henry Thoreau, pour son détachement et ses convictions, ses textes inspirants sur les châteaux dans les nuages et tous les rêves que nous portons en nous. Baptiste Beaulieu, médecin et écrivain, pour son humour et son humanisme.


Un livre (fiction ou non-fiction) que vous nous recommandez ?


Toutes les histoires d'amour du monde de Baptiste Beaulieu, un récit de vie autobiographique autour de secrets de famille, qui m'a profondément émue.


En tant qu'auteure, quelle est pour vous l'ambiance de travail idéale, qui stimule votre créativité ?


La pénombre et le silence de la nuit profonde. L'insomnie est un terreau fertile. Et quand tous les sens se taisent, le besoin d'écrire est souvent irrépressible.


Votre citation préférée ?


« Ne baisse pas les bras, tu risquerais de le faire deux secondes avant le miracle. » (proverbe arabe)


Éblouie par la beauté de la vie après avoir traversé l'épreuve du cancer, Tiphaine Baldinger entame une démarche artistique en se lançant dans l'autoédition de ses compositions poétiques (L'Araignée dans mon cœur, 2019; Chambre noire, 2020; Crabuscule est une crapule, 2021). Ses poèmes abordent des thèmes universels ou plus personnels et trouvent rapidement un écho positif auprès de ses lecteurs. En 2021, la création de son blog http://www.afleurdepoesie.fr, davantage axé sur la macrophotographie, devenue une seconde passion, lui permet de partager la beauté de la faune et de la flore d'Alsace.


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